critique &
création culturelle

Régis

Expérience de la meute

Que feriez-vous si onze inconnu·es débarquaient chez vous, sans animosité aucune, mais en refusant ensuite de partir ? C’est l’expérience que dépeint Régis du Canine Collectif, une pièce comique qui s’avère rapidement suffocante.

Régis commence dans la bonne humeur, alors que les comédien·nes arrivent sur scène en construisant le décor comme on aménage en groupe l’appartement d’un pote : un fauteuil, un tapis, une table basse, un frigo qu’on remplit de quelques boissons, un four à micro-ondes, le tout dans une structure délimitant l’espace d’un tout petit appartement bruxellois. Une fois le décor planté, Régis s’installe alors que le reste de la troupe s’adresse au public, lui expliquant que l’ « expérience » qui va être présentée devant ses yeux a réellement eu lieu et qu’il ne s’agit que d’une reconstitution de celle-ci. Régis se trouve donc seul chez lui, mais pas pour longtemps : les onze autres personnages, qu’il ne connaît pas encore, décident de s’inviter sans explications, et d’y rester. Si l’ambiance est potache au début, elle tourne rapidement au malaise quand Régis commence à comprendre la situation délicate dans laquelle il se trouve. Sans aucune violence physique, et purement par la force de l’effet de groupe, les intrus imposent leur présence, établissent des règles et des codes dans le huis clos qui s’établit. Les limites de l’individu se révèlent assez floues quand celui-ci est submergé par la toute-puissance du groupe et la pièce prend, peu à peu, des accents horrifiques.

© Carole Cuelenaere

À la fois co-écrite et jouée par l’ensemble des membres du Canine Collectif, Régis se démarque par une mise en scène intelligente et très efficace dans l’établissement de l’atmosphère étouffante qu’elle nous propose. Une structure métallique cubique délimite l’appartement de Régis, structurant l’espace tout en permettant aux comédien·nes de la traverser. De cette façon, une frontière se crée entre le dehors et le dedans, cadre surpeuplé aux allures de tableau qui semble flotter en dehors du temps, où plus rien n’existe en dehors de ce petit monde dans un bocal… sauf quand, de temps en temps, l’espace confiné se dilate et déborde, prend la place de la scène en transgressant ses propres limites, à l’image des débordements qui ont lieu pendant l’« expérience ». À douze dans ce cube étroit, les personnages sont entassé·es et trahissent physiquement le sentiment d’enfermement. Grâce à cette gestion de l’espace scénique, l’agencement des corps – spécialement celui de Régis, ou le sien en opposition à celui des autres – et leurs déplacements prennent un poids tout particulier.  Le positionnement du personnage principal trahit les dynamiques de pouvoir qui le traversent : tantôt tournant au centre, tournant le dos aux spectateurs mais face aux intrus, tantôt assis et se faisant tout petit dans un coin, tantôt seul hors du cadre…

© Carole Cuelenaere

La pièce, prévue pour le jeune public à partir de quinze ans, a un côté dynamique assez irrésistible qui transparaît dans les trouvailles de la mise en scène et un jeu très convaincant. Le côté « jeune » se traduit par un langage courant où traînent quelques néologismes, des musiques populaires, mais aussi et surtout un projet théâtral qui se laisse influencer par différents médiums, « entre la scène et l’écran, le documentaire et la fiction. » Avec, à des moments clés de la pièce, l’irruption d’extraits audio et vidéo « pris sur le vif » lors de l’expérience réelle pour appuyer la montée de la tension, le Canine Collectif laisse entendre que la réalité pourrait dépasser la représentation que nous avons sous les yeux. Cela laisse la place à un récit de plus en plus immersif dans l’expérience cauchemardesque vécue par Régis.

© Carole Cuelenaere

J’ai néanmoins été déçue par la construction de cette ambiance anxiogène, trop rapide à mon goût pour que la tension fasse réellement effet. C’est là que le caractère « jeune public » de la pièce trouve quelque part ses limites, particulièrement dans le genre du huis clos qui brille le mieux dans des formats longs dans lesquels les spectateur·trices ressentent avec les personnages l’enfermement.  D’autant plus que cela laisse peu de place à la subtilité dans le propos et dans la conclusion qui se dessine à la fin de la pièce : qu’est-on censé en retenir ? Que l’effet de groupe est dangereux ? Cela semble une leçon un peu simpliste à présenter en priorité à des adolescent·es pour qui le groupe peut avoir une grande importance dans la construction de l’identité.

On saluera tout de même le Canine Collectif pour cette pièce drôle et angoissante qui ne manque pas d’inventivité et où on sent l’apport de l’écriture collective. Dans une histoire qui dépeint la confrontation entre les individus dans une dynamique de groupe, il est particulièrement réjouissant de voir une troupe de jeunes comédien·nes où chacun·e brille à sa manière explorer de nouvelles formes d’écriture et de jeu.

Même rédacteur·ice :

Régis

Auteur : Canine Collectif

De et avec Violette de Leu , Léone François , Louise Jacob , Colin Javaux , Colline Libon , David Nobrega , Mélissa Roussaux , Caroline Taillet , Benjamin Torrini , Camille Voglaire , Émilien Vekemans

Création lumières : Jérôme Dejean

Aide à la scénographie : Camille Collin
Constructeur décor : Gilles Van Hoye
Création sonore : Loïc Le Foll

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